CARIWEST – Le festival des arts caribéens a fait ses premiers pas à Edmonton en 1984. Il est le fruit du labeur de la Western Carnival Development Association (WCDA) et l’héritage de la nouvelle communauté émergente d’immigrants de souche caribéenne au Canada. Pour les organisateurs de ce festival, le défilé ayant lieu au centre-ville est le clou de l’événement. Ce festival est un dérivé de spectacles de musique, de pièces de théâtre et d’autres prestations à petite échelle à saveur caribéenne sur les campus postsecondaires organisés annuellement par des étudiants caribéens dans les années 1960 et 1970. Même si leur objectif premier consistait à faire des études postsecondaires, les étudiants voulaient partager le patrimoine et la culture qu’ils avaient apportés avec eux. Avant 1984, le groupe étalait ses activités de mascarade, de danse et de musique dans le cadre du défilé des jours du Klondike d’Edmonton, ce qui comprenait un assortiment de véhicules décorés, du bétail, des tracteurs et des expos de petits commerces. Les organisateurs voulaient cependant une autre plateforme pour présenter leurs trésors culturels. Un festival indépendant ressemblant à un carnaval de type caribéen, à l’image de leur patrimoine, représenterait mieux leurs aspirations tout en permettant de mettre en vedette la musique, la danse et la mascarade de ce coin de la planète.
Les organisateurs du festival voulaient afficher leur présence de plus en plus grande dans la région et faire revivre ce goût des îles ensoleillées tout en fusionnant ce nouveau festival au contexte multiculturel plus vaste et émergent de la ville. Michael La Rose1 a déclaré que le carnaval des Caraïbes, c’est l’expression créative et artistique des personnes dépossédées… transportées en Amérique du Nord… par la migration, des personnes qui essaient de s’établir dans un nouveau lieu et environnement. Le concept du carnaval des Caraïbes a été emporté en Amérique du Nord et en Europe par l’exode des populations caribéennes.
Cariwest et le carnaval de type caribéen
Les immigrants des Caraïbes sont venus au Canada avec leur bagage culturel, y compris leur esprit du carnaval. Cette nouvelle diaspora créait de nouveaux festivals à consonance de carnaval partout où elle s’établissait. Cela a notamment été le cas du Cariwest à Edmonton, du Caribana à Toronto, de la Carifiesta à Montréal, du Carifest à Calgary, du carnaval de Notting Hill au Royaume-Uni, du carnaval de la fête du Travail à New York, du carnaval de Miami et d’autres carnavals ou festivals de ce genre, là où cette diaspora s’installe. Ces festivals insufflent un esprit enthousiaste dans des villes comme Edmonton, où ces communautés émergentes s’établissent. Ce sont tous des exemples de transfert de patrimoine culturel. Le Cariwest a eu lieu tous les ans depuis 1984.

Mais d’où viennent ces idées de mascarade, de joyeux abandon et de joie de vivre? D’où vient toute cette créativité? D’où viennent ces « carnavals »? La psyché de ces immigrants afro-caribéens (surtout ceux de Trinité) est empreinte d’une célébration traditionnelle du nom de « carnaval ». Les origines de ces carnavals remontent à des centaines d’années, à l’époque de l’esclavage des ancêtres dans la région caribéenne qui célébraient les récoltes fructueuses et rentables de la canne à sucre pendant leur congé. Ils défilaient dans les rues vêtus des toilettes rejetées par les propriétaires de leur plantation.
Parfois, en pleine nuit, des bâtiments et des propriétés passaient mystérieusement au feu, histoire d’exprimer du ressentiment vis-à-vis de leur esclavage. « Si vous voyez des gens faire des choses sur la rue pendant le jour du carnaval, c’est l’évolution du refoulement de cet esclavage », explique Selwyn Jacob2. Souvent, ils se cachaient le visage pour ne pas révéler leur identité. Les masques constituent donc un autre aspect du patrimoine ancestral lié aux festivals et carnavals. D’après Candice Maharaj3, les participants profitaient souvent de l’anonymat que leur offraient les masques, les costumes et les foules pour se laisser aller, ce qui frôlait parfois l’obscénité. Le renversement des normes sociales était monnaie courante dans les célébrations carnavalesques d’autrefois. Souvent, les costumes servaient à se moquer de l’autorité ou de la classe supérieure, voire parfois du diable. » Dans le cadre du défilé du Cariwest, il arrive très souvent que les visages soient couverts. C’est le reflet de l’histoire. Cela rappelle aussi les pratiques en vigueur dans l’Afrique de l’Ouest, surtout au Nigéria. Du point de vue traditionnel et historique, ces célébrations sont liées aux célèbres carnavals du Brésil et de La Nouvelle-Orléans, le Mardi gras, la Mi-Carême.
Modification des célébrations carnavalesque au Canada, notamment à Edmonton
Pour des raisons d’ordre géographique et de conditions climatiques normales dans les pays métropolitains, les organisateurs de carnavals et festivals ont décidé, à bon escient, de modifier l’horaire des célébrations carnavalesques de la diaspora afin de les tenir au cours des mois d’été « plus chauds » au lieu de la période traditionnelle précédant Pâques. C’est pourquoi le Cariwest d’Edmonton a généralement lieu au début d’août, à peu près au même moment que le Caribana de Toronto. Le Cariwest attire des participants et spectateurs de toutes les provinces des prairies. Il y a même des mascaradeurs qui viennent de Seattle et de Vancouver, de Winnipeg, de Saskatoon, de Fort McMurray, de Calgary, de Los Angeles et de Toronto pour participer au Cariwest d’Edmonton. Il s’agit d’un effort concerté de la part du Cariwest d’accueillir d’autres communautés d’ailleurs dans le monde qui célèbrent un carnaval de type caribéen semblable à celui d’Edmonton. Pour reprendre les paroles de Selwyn Jacob2, un des premiers présidents du Cariwest/WCDA :

« Je croyais que ce carnaval pourrait dépasser les limites de la communauté caribéenne… Je me disais que, si on approchait d’autres communautés, quiconque s’identifie à l’esprit du Cariwest devrait avoir le droit d’y participer. Je pense que c’est une des manières dont le festival a évolué. Une des raisons pour lesquelles les célébrations portent le nom de Cariwest, c’est parce qu’on savait qu’Edmonton ne possédait pas l’infrastructure nécessaire pour tenir un vrai carnaval. Il fut un temps où il y avait des orchestres qui venaient de Winnipeg, de Calgary et de Vancouver, ce qui en faisait vraiment un carnaval de l’Ouest… on avait aussi l’idée d’aller dans les écoles pour enseigner aux enfants comment faire des costumes. »
C’est également le temps de l’année où les gens d’Edmonton invitent leurs parents et amis à venir leur rendre visite. C’est le temps du Cariwest, le temps de faire transparaître notre esprit triomphant, la joie du théâtre et de la danse de rue, le moment du joyeux abandon alors que nous défilons sans soucis et montrons notre vie. C’est notre thérapie. C’est ainsi que l’art imite la vie. C’est ainsi que nous mettons notre ville en vedette et que nous exprimons notre reconnaissance envers l’accueil qui nous a été réservé par les gens d’Edmonton, envers l’inclusion de nos cultures d’immigrants.
Impact du Cariwest à Edmonton
Un aspect fondamental de notre festival, c’est l’accompagnement musical, les rythmes des Caraïbes qui explosent dans les rues, surtout durant le défilé, ces rythmes qui nous dictent « d’avoir du bon temps ». La musique interpelle les observateurs et incite les gens à bouger, à danser, à agir. La musique caribéenne des plus vibrantes comprend le reggae, le zouk, la soca et d’autres formes de musique qui viennent chercher les spectateurs. Cela dit, l’aspect unique du défilé, c’est la musique jouée sur des bidons. Il semblerait que cette musique, originaire de Trinité-et-Tobago, soit tributaire du seul instrument de musique acoustique à avoir été inventé au 20e siècle. Les bidons en question sont des bidons de pétrole abandonnés. Sous l’égide de Cecil George, premier président du Cariwest, Edmonton a créé son propre orchestre de bidons, le Trincan Steel Orchestra.

Marche sur échasses : un symbole des arts carnavalesques des Caraïbes
La présence de marcheurs sur échasses dans notre ville a quelque chose à voir avec notre festival. Même si elle n’est pas entièrement attribuable au Cariwest, la marche sur échasses fait partie de l’expérience de la diaspora. Elle est plus communément appelée « Moko Jumbie ». À Edmonton, ses adeptes sont également de descendance caribéenne. Ils ont appris cet art dans une région des Caraïbes où se donne de la formation en très bas âge.

Avez-vous eu l’occasion de voir le gigantesque costume du Cariwest à l’Aéroport international d’Edmonton il y a quelques années? Ou les costumes élaborés de « reines » ornant les murs de l’Aéroport international d’Edmonton? C’est le genre d’impact que la présence du Cariwest a sur cette ville. Le costume gigantesque, dédié à Edmonton et à la communauté agricole de notre province, portait le nom de « Sweet Wheat ». Ce costume était le fruit d’un atelier international de confection de costumes organisé par la faculté de l’éducation de l’Université de l’Alberta en 2008-2009. Cet atelier communautaire avait été planifié par des instructeurs chevronnés des Caraïbes. Le projet « Mas » (abréviation de mascarade) – Mas Goes to University – a fait appel à des soudeurs et à d’autres techniciens en construction devant apprendre à faire des moulures, de la confection, du pliage de fils métalliques ainsi que de la création et de l’assemblage de costumes. Des séries d’abeilles géantes et des centaines d’épis de blé ont été créés pour être fixés à l’énorme costume de blé d’environ neuf mètres de hauteur ayant fait partie du défilé du Cariwest cette année-là. C’était une vraie œuvre d’art, une œuvre émanant des profondeurs de la créativité locale. Le personnel de l’université, débordant de fierté en raison de cette coentreprise communautaire, a fait visiter le chantier de construction et de formation aux étudiants et aux membres de la faculté. Après avoir été utilisé dans le défilé du centre-ville, le costume Sweet Wheat a été installé à l’Aéroport international d’Edmonton.
Structure du défilé du Cariwest
Même si le festival semble plutôt décontracté, les orchestres de carnaval ou de mascarade sont grandement organisés en ce sens qu’ils comprennent des « reines », des « rois », des « particuliers » et des « membres sur le terrain » ou dans la foule.
En général, les groupes commencent par décider d’un thème pour leur présentation au festival, thème choisi en fonction des communautés de la diaspora et des groupes de mascarade. Est-ce que le thème sera de nature historique? De nature contemporaine? Est-ce que ce sera un thème local? Un thème abstrait?
Une fois que cette décision est prise, le groupe installe son « Mas Camp », soit l’endroit où la production aura lieu et où les membres de la communauté se rencontrent pour fabriquer le « mas » pendant de nombreuses heures, s’affairant ainsi à découper, coudre, coller, peindre, souder et confectionner le « mas » afin de lui donner vie. Le Mas Camp peut être un garage, un sous-sol, une aire couverte dans une arrière-cour, un local loué ou un lieu communautaire. Le thème doit être représenté dans le « mas » ainsi créé.
Le groupe est organisé en sections ou en sous-groupes qui se complètent les uns les autres et tiennent compte du thème général en tout temps. Chaque section est dotée d’un chef de section – un homme, une femme ou les deux – tandis que le grand groupe est doté d’un « roi » et d’une « reine ».
En premier lieu, les designers et les confectionneurs doivent se concentrer sur les costumes des majestés, le roi et la reine. En général, ils sont montés sur un cadre métallique qui est moulé, plié et soudé. Il s’agit là du point de départ de chacun des costumes. Ils peuvent mesurer de six à neuf mètres de hauteur et d’environ cinq à neuf mètres de largeur. Les costumes ne peuvent absolument pas être motorisés. Ces costumes, qui peuvent couvrir les épaules, la taille, les pieds et les hanches, sont conçus de sorte à permettre aux personnes qui les portent de danser, de se pavaner et de défiler. La personne qui porte le costume est responsable de son mouvement. Les designers doivent tenir compte de tout cela lorsqu’ils créent ces ensembles thématiques, à l’image du thème ou du sujet général pour l’année en question.
Les costumes des membres sur le terrain sont fabriqués en série, ni plus ni moins. Des jupes ou des pantalons assortis de paillettes, de rubans, de plumes, de mousse décorative ou d’autres éléments les rendent encore plus attrayants ou intéressants. Les membres sur le terrain, la foule du « mas », sont le moteur du groupe, si bien que le processus de production du groupe tourne autour d’eux. Les costumes des membres sur le terrain comprennent 1) un étendard conçu pour être tenu dans la main; 2) une coiffe; 3) le costume principal et des pièces décoratives supplémentaires pour les bras, les jambes et le visage. Les costumes de la section des leaders sont plus élaborés que ceux des membres sur le terrain.
Une fois la confection des costumes terminée, le groupe peut se préparer à faire des concours d’avant-défilé. L’excitation monte et il y a une rivalité amicale entre les divers groupes de la ville. Le groupe est alors prêt pour le jour du défilé.
Ce que voient les spectateurs au défilé du Cariwest
Les « rois » et les « reines », vêtus de leurs gigantesques costumes spectaculaires, se pavanent sur l’avenue Jasper. Sans aucune aide mécanique, les participants défilent sous le soleil du mois d’août. Les rois et les reines portent les plus gros costumes du carnaval. Ils sont suivis des sections des membres sur le terrain, qui portent des costumes de version réduite à l’image du thème de leur groupe. Selon le thème des groupes, le public pourra admirer des abeilles hyperréalistes sur la tête des artistes, des représentations de la royauté égyptienne ancienne, des personnages bibliques dans des chars tirés par des chevaux, des vagues et des débris de plage pour sensibiliser à la question du changement climatique, des acrobates sur échasses, des animaux de toutes sortes et descriptions, la diabolique, des artistes autochtones des Caraïbes, des papillons, de la faune et de la flore, des oiseaux aux plumes de toutes sortes, des danseurs brésiliens, des drapeaux du monde entier, des danseurs sur bambou et bien d’autres personnages encore. La variété des costumes est infinie en raison des différents thèmes représentés par les différents groupes.

C’est cela le défilé annuel haut en couleur du Cariwest, mettant en vedette la musique et les sons vibrants des Caraïbes, où les spectateurs dansent un peu partout dans la rue, pour faire une grande fête. C’est un événement spécial du centre-ville d’Edmonton à ne pas manquer.
Cariwest au-delà d’Edmonton
Grâce au Cariwest, Edmonton est connue de par le monde en raison de son carnaval digne des Caraïbes. Les gens d’Edmonton ont également eu l’occasion d’assister à des conférences internationales sur les arts carnavalesques et de nouer des liens avec des communautés semblables de la diaspora. Le plan tacite suivi par les communautés de la diaspora dans le monde entier est le même : fusionner et représenter avec fierté l’esprit triomphant de notre diaspora unie par sa raison d’être et sa ferveur collective. Les carnavals constituent une industrie mondiale composée de designers, de spécialistes des arts, de confectionneurs, de producteurs d’articles essentiels, comme les plumes, les perles, les mousses spécialisées, les tissus et les matières adhésives, de soudeurs et de mouleurs. Bon an mal an, les organisateurs tiennent un événement de calibre mondial sous le sceau de l’enthousiasme, de la durabilité et de la créativité ponctués de fierté, d’engagement et de dévouement dans un paysage multiculturel.
Donna Coombs-Montrose © 2021
Des références sont faites à ce qui suit :
Michael La Rose, « History of the Caribbean Carnival », le 23 janvier 2015. CharlestonCariFest.com. https://charlestoncarifest.com/information/history-of-the-caribbean-carnival/
« Selwyn Jacob », 2013. AlbertaLabourHistory.org. https://albertalabourhistory.org/selwyn-jacob/
Candice Maharaj, « The Origins and Evolution of Carnival in Trinidad and Tobago », le 11 novembre 2018. RetrospectJournal.com. https://retrospectjournal.com/2018/11/11/the-origins-and-evolution-of-carnival-in-trinidad-and-tobago-2/
Autres sources consultées :
« History of Caribbean Carnival », le 14 décembre 2020. CariViews.com. https://www.cariviews.com/blog/history-of-caribbean-carnival
Michelle Parson, « Carnival – A Festival of Freedom and Creativity », 2021. TorontoArtsCouncil.org. https://torontoartscouncil.org/blog/posts/caribbean-carnival